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S4-Épisode 9: La technologie à l’école : éducation numérique, vie privée et bien-être des élèves

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Les technologies numériques, dont l’intelligence artificielle, transforment rapidement le monde de l’éducation et soulèvent des questions épineuses sur l’expérience d’apprentissage, la vie privée et le bien-être des élèves. Anthony Carabache, du service de perfectionnement professionnel de l’Ontario English Catholic Teachers’ Association, jette un éclairage sur les avantages et les écueils des technologies pour les pédagogues qui les utilisent en classe. 

Remarques

Anthony Carabache fait partie du service de perfectionnement professionnel de l’Ontario English Catholic Teachers’ Association.

  • D’aide-enseignant à enseignant-ressource qui s’emploie à intégrer la technologie en classe [2:22]
  • Exemples de systèmes d’intelligence artificielle utilisés par le personnel enseignant et les élèves [6:05]
  • La privatisation de l’éducation publique par l’utilisation d’outils et d’applications externes [9:06] 
  • Les modèles de conception trompeuse et les préoccupations en matière de protection de la vie privée soulevées par les logiciels qu’utilisent les élèves [12:00]
  • Lignes directrices en matière d’approvisionnement auprès de fournisseurs externes afin d’assurer la protection de la vie privée [14:22]
  • Apprendre aux élèves à valoriser leur vie privée [10:49]
  • L’impact persistant de la pandémie sur la littératie sociale des élèves [19:06]
  • La Charte de la protection de la vie privée numérique pour les écoles ontariennes et les plans de leçons du CIPVP [24:59] 

Ressources

L’info, ça compte est un balado sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information animé par Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée. Avec des invités de tous les milieux, nous parlons des questions qui les intéressent le plus sur la protection de la vie privée et l’accès à l’information. 

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Vous aimeriez en savoir plus sur un sujet lié à l’accès à l’information ou à la protection de la vie privée? Vous aimeriez être invité à notre balado? Envoyez-nous un message à @cipvp_ontario ou un courriel à @email.

Transcriptions

Patricia Kosseim :

Bonjour. Ici Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, et vous écoutez L’info, ça compte, un balado sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information. Nous discutons avec des gens de tous les milieux des questions concernant l’accès à l’information et la protection de la vie privée qui comptent le plus pour eux.

Bonjour, chers auditeurs, et bienvenue à un autre épisode de L’info, ça compte. Les technologies numériques sont bien ancrées dans le quotidien de bon nombre d’entre nous. Des téléphones intelligents aux ordinateurs portables, les outils numériques font partie intégrante de notre vie personnelle et professionnelle. Et nos jeunes, qui grandissent dans cet univers numérique, interagissent avec la technologie, non seulement à la maison, mais aussi à l’école. Les plateformes comme les applications d’apprentissage en ligne, les outils collaboratifs et l’intelligence artificielle redéfinissent l’apprentissage des élèves. 

Cependant, ces progrès soulèvent d’importantes questions. Quelle est l’incidence de ces technologies sur l’apprentissage des élèves, et notamment sur leur bien-être et la protection de leur vie privée? Et comment les écoles et les pédagogues peuvent-ils mettre en balance l’innovation et la protection? Dans cet épisode, nous nous penchons sur l’évolution du rôle de la technologie en classe, nous explorons les outils qui façonnent les futures générations d’apprenants, et nous discutons des écueils éventuels que les pédagogues et les décideurs doivent éviter pour créer un milieu d’apprentissage numérique sûr et efficace. Mon invité d’aujourd’hui est Anthony Carabache, du service de perfectionnement professionnel de l’Ontario English Catholic Teachers Association. Il fait partie également du Conseil consultatif de la jeunesse du CIPVP.

En raison de son travail, Anthony apporte une perspective unique et cruciale sur les défis et les occasions que présente la technologie en classe. Que vous soyez enseignante ou enseignant, décideur, parent ou élève et que l’intersection de la technologie et de l’éducation vous passionne, cet entretien s’annonce instructif et actuel, et il vous fera certainement réfléchir. Anthony, bienvenue au balado.
 

Anthony Carabache :

Merci beaucoup, Patricia. Ravi d’être ici.
 

PK :

Bravo. Pour commencer, parlez-nous un peu de vous. Comment en êtes-vous venu à faire partie du service de perfectionnement professionnel de l’Ontario English Catholic Teachers Association?
 

AC :

Avec plaisir. J’ai commencé à travailler en classe en 2001 comme aide-enseignant, et je fais partie du secteur de l’éducation depuis. De 2001 à 2009, j’ai travaillé à l’école que j’avais fréquentée, comme c’est souvent le cas. Cela me plaisait beaucoup, mais je cherchais constamment des moyens d’intégrer technologie et enseignement parce que je considérais que la technologie était un pont idéal pour la génération suivante. J’ai vu alors une annonce du Toronto Catholic District School Board, qui recherchait un enseignant-ressource pour assurer l’intégration de la technologie, et je me devais de postuler. Et en 2009 s’est donc amorcée une période de six ans où j’ai assuré le perfectionnement professionnel d’enseignants de Toronto concernant l’intégration de la technologie dans la classe, la conception Web, les médias sociaux. Ce fut une période emballante et j’ai vite compris que mon rôle n’était pas tant d’enseigner, mais plutôt de gérer le changement.

Puis, quand j’ai accepté mon rôle de faire le pont entre notre situation actuelle et l’avenir que nous souhaitons, je me suis fait à l’idée que j’aime être agent de changement. Et quand je m’en suis rendu compte, tout mon parcours a changé. Alors Patricia, après six ans comme enseignant-ressource au Toronto Catholic District School Board, où il se fait un excellent travail, parfois reconnu même à l’échelle nationale pour ce que nous avons accompli dans le domaine que l’on appelait alors l’apprentissage du XXIe siècle, j’ai eu l’occasion de travailler à l’OECTA comme instructeur dans le domaine de l’intégration de la technologie dans la salle de classe. J’ai exprimé mon opinion sur certains aspects, et mon prédécesseur m’a alors dit : « OK. Si tu penses que tu en sais tant que ça, pourquoi ne viendrais-tu pas ici faire ce travail? » Et l’occasion s’est présentée, et je suis reconnaissant à mon prédécesseur et à mes mentors ici à l’OECTA.

Depuis, je m’occupe de tous les cours et j’observe comment les pédagogues du monde, et de l’Ontario en particulier, s’adaptent et modifient leur pratique de l’enseignement pour utiliser la technologie en classe. Aujourd’hui, c’est vraiment ce que je fais et, notamment, j’étudie l’incidence de l’intelligence artificielle sur l’apprentissage et l’enseignement dans les salles de classe modernes.
 

PK :


Wow. Merci, Anthony, vous venez de me dire tellement de choses à votre sujet, en particulier, que la technologie a fait partie de toute votre carrière dans les systèmes d’éducation. C’est fascinant. Vous avez parlé d’intelligence artificielle. Selon vous, quelle est l’incidence, positive et négative, de l’IA sur le personnel enseignant de nos jours? 
 

AC :


Tout le monde sait que les élèves s’adaptent rapidement aux nouvelles technologies et sont toujours prêts à en essayer de nouvelles. Donc, le premier point de contact entre les enseignants et l’IA en Ontario a été par l’entremise des élèves dont les travaux auraient pu avoir été générés par l’intelligence artificielle. On peut bien sûr se demander, est-ce un travail original? Est-ce du plagiat? Comment une enseignante ou un enseignant peut-il s’adapter à cette nouvelle façon de travailler? Et d’un autre côté, on sait que des enseignants se servent de l’intelligence artificielle pour réduire leur charge de travail.

Certains enseignants essaient également de s’en servir pour d’autres tâches afin d’alléger leur travail quotidien. Nous surveillons ça de près, mais je ne dirais pas que cette pratique s’est implantée au sein de tout le personnel enseignant de l’Ontario. Nous sommes encore, je pense, aux premiers stades d’adoption, et nous attendons de voir ce qui va se passer.
 

PK :
Pouvez-vous me donner des exemples d’outils ou applications d’IA qui pourraient faciliter le travail quotidien d’une enseignante ou d’un enseignant?
 

AC :


Il est difficile de donner des exemples précis, mais je sais que, pour l’organisation du travail, l’intelligence artificielle peut être très utile. Une personne qui a une bonne connaissance de ces outils peut certainement s’en servir de façon fructueuse. Je sais que certains enseignants l’utilisent pour la planification et d’autres pour les évaluations. Je ne suis pas arrivé au point où je pourrais affirmer qu’il s’agit d’une façon utile de se servir de l’intelligence artificielle. Cependant, il y a des enseignantes et des enseignants qui expérimentent; certains sont très novateurs et sont appelés à l’être. Souvent, dans certaines régions de la province, on les encourage même à être innovants. 

C’est pourquoi j’hésite à donner des exemples parce qu’il y a encore beaucoup à faire avant de pouvoir affirmer que les enseignants font ceci ou cela. Je suis très prudent, Patricia, et j’évite autant que possible d’établir ce qu’on appelle des « pratiques exemplaires ». Il est beaucoup trop tôt pour le faire.
 

PK :


Je vois. Et ce sont de très bons exemples concrets qui montrent comment les enseignants utilisent, ou non, l’IA. Mais bien sûr, nous nous en servons tous les jours, quand nous faisons une recherche dans Google ou quand nous utilisons des cartes de géolocalisation ou encore, Google Translate. Donc, tous les jours, nous sommes tous en contact, comme vous dites, avec l’IA, depuis longtemps. Il est bon de mettre ces choses en perspective. Avec l’utilisation accrue des plateformes technologiques, des applications commerciales et d’autres outils dans la salle de classe, on constate que la privatisation s’infiltre de plus en plus dans le système d’éducation publique. Qu’en pensez-vous, Anthony?
 

AC :


C’est une question très pertinente, et j’aime le mot « infiltration »; je cherchais un mot à utiliser dans certains de mes exposés. Je parle habituellement de « point d’entrée » parce que la technologie, les fournisseurs externes, sont déjà implantés dans notre système d’éducation. Je l’ai vu au début des années 2000, alors que des fournisseurs venaient frapper à la porte des conseils scolaires pour leur faire adopter leurs applications. À l’époque, c’était logique parce qu’il s’agissait vraiment d’outils, des stratégies supplémentaires à utiliser. Mais maintenant, comme vous dites, il ne s’agit plus simplement de fournisseurs qui viennent nous vendre leurs produits.

Ils s’engouffrent dans le secteur parce qu’ils reconnaissent maintenant, ce qui est malheureux, que des deniers publics sont désormais en jeu sur le marché, et ces fournisseurs externes proposent des solutions. Mais dans certains cas, ils proposent des solutions à des problèmes qui n’existent pas vraiment. Donc, on nous vend un problème, puis on nous vend la solution. On ouvre donc la porte aux mises à niveau et à une abondance de nouveaux logiciels qui s’infiltrent dans le réseau d’éducation public, et c’est très envahissant. Alors, au début, on avait par exemple une compagnie, que j’appellerai Zed. Alors, Zed nous a offert ses services au milieu des années 2000, et nous avons obtenu une licence d’utilisation que l’on a renouvelée année après année, et sa technologie a évolué de même que son infrastructure, et l’intelligence artificielle et les algorithmes en font maintenant partie.

Donc, tout ça fait maintenant partie de l’infrastructure de la province ou du conseil scolaire, et cette entreprise s’est enracinée dans notre système, ce qui ouvre la voie à d’autres entreprises. Ce processus a déjà commencé. De nombreux conseils scolaires de l'Ontario et, je pense, du monde entier sont abonnés à des logiciels propriétaires d’entreprises privées. C’est verrouillé et accessible uniquement à l’entreprise ou à une ou deux personnes du conseil scolaire, et les utilisateurs de ces logiciels, nos élèves, comptent parmi les plus vulnérables de la planète. Il s’agit là évidemment d’un enjeu majeur en matière de protection de la vie privée, et nous nous inquiétons de plus en plus de la manipulation, particulièrement du côté de la commercialisation.

PK :

C’est intéressant, car tout récemment, des autorités de protection des données de partout dans le monde ont fait ce qu’on appelle un ratissage et étudié les sites Web et les applications d’entreprises commerciales, et ont constaté que beaucoup utilisent des technologies persuasives et des mécanismes de conception trompeuse qui influencent le comportement des utilisateurs, particulièrement les enfants. Très récemment, mon bureau et mes collègues du gouvernement fédéral, des provinces et des territoires ont adopté une résolution, une résolution conjointe, demandant aux organisations des secteurs public et privé d’examiner les mécanismes de conception et les pratiques qui influencent ou manipulent les utilisateurs et les poussent à prendre des décisions qui vont parfois à l’encontre de leurs propres intérêts en matière de protection de la vie privée. Voyez-vous ce genre de mécanisme de conception trompeuse dans le secteur de l’éducation?

AC :

Oui, bien sûr, et avant tout, je tiens à féliciter les bureaux des commissaires à la protection de la vie privée de tout le pays, y compris le bureau fédéral, d’avoir publié une telle résolution qui décrit la notion de « mécanisme de conception trompeuse ». J’en ai vu au cours des 20 dernières années, bien sûr, car lorsqu’on est en rapport avec des entités motivées par le profit, l’éthique est toujours reléguée au second plan. Et les technologies persuasives relèvent d’un domaine que l’on appelle la captologie; elles sont spécifiquement conçues pour rendre tout le monde accro, et tout ce qu’on voit et fait avec son téléphone mobile est conçu pour créer une accoutumance et influer sur nos pensées. Et comme vous le savez, cela se fait graduellement. 

Cet appel aux entreprises à examiner la conception de leurs produits arrive à point nommé, et la résolution sur les mécanismes de conception trompeuse des commissaires à la protection de la vie privée de tout le pays, et soutenue par le gouvernement fédéral, revêt une importance cruciale actuellement. Je pense donc qu’il est important de reconnaître que ces mécanismes sont délibérés, fondés sur le profit, et qu’il faut les réglementer ou les encadrer, car d’après mon expérience, de simples lignes directrices ne suffisent pas dans notre monde où règne la liberté d’entreprise.

PK :

Donc il est évident, si on en croit votre propre expérience, sans compter l’évolution de la pratique, comme vous dites, au cours des 20 dernières années, qu’il y a de plus en plus de liens entre les secteurs public et privé dans le système d’éducation. Récemment, mon bureau a publié un document d’orientation sur les questions de protection de la vie privée et d’accès dont les organisations du secteur public doivent tenir compte lorsqu’ils font appel à des fournisseurs externes ou, dans votre cas, des fournisseurs d’outils pédagogiques numériques à utiliser en classe. C’est vrai qu’il doit être plutôt difficile pour une école de négocier à elle seule un contrat avec un géant comme Google, mais comment des associations, des secteurs, ou encore, des conseils scolaires, peuvent-ils accroître leur pouvoir de négociation et leur influence lorsqu’ils amorcent des relations contractuelles avec des fournisseurs externes?

AC :

Voilà un aspect très important, Patricia. Le document que vous avez publié est à mon avis un excellent cadre pour orienter les institutions et les bureaux publics en matière d’approvisionnement. Cela se classe au deuxième rang après la réglementation. C’est vraiment le deuxième élément en importance, qui permet aux fonctionnaires des conseils scolaires de protéger nos personnes les plus vulnérables et leurs employés. Tout le monde en profite. Donc, les lignes directrices, le fait de savoir ce qui est sécuritaire et ce qui ne l’est pas, ainsi que la façon de revaloriser la protection de la vie privée et le développement des compétences, tout cela se produit dans le cadre du processus d’approvisionnement. Et nous devons réfléchir à certains aspects.

Le personnel supérieur des conseils scolaires se compose de pédagogues, mais à ma connaissance, il y a très peu de formation sur les questions à poser pendant le processus d’approvisionnement, et sur l’intégration dans ce processus de la vision, des objectifs, de l’éthique, de la moralité et des croyances de l’organisation pour laquelle nous travaillons. Il suffit que plus de gens fassent preuve d’un peu plus de curiosité pour faire appel aux ressources que votre bureau propose, Patricia, et se fonder sur eux pour établir des politiques et lignes directrices. 

L’idée que vous proposez est très valable et vous en avez jeté les bases, ce qui est important. Cependant, en réalité, nous avons besoin de leaders qui diront : « Utilisons ces lignes directrices comme cadre d’approvisionnement dans nos écoles, nos conseils scolaires, pour toute la technologie. »

PK :

Et, bien sûr, plus il y a d’écoles et de conseils scolaires de la province qui le font, plus leur pouvoir de négociation avec ces fournisseurs externes est rehaussé.

AC :

Exactement.

PK :

C’est évident que l’union fait la force. Ce dont on parle ici en Ontario est crucial, mais franchement, cela se produit à l’échelle du pays, et même dans le monde entier. Tout récemment, j’ai animé un panel à l’Assemblée mondiale pour la protection de la vie privée sur la protection de la vie privée en milieu scolaire. Il y avait des conférenciers venus du Royaume-Uni, de France, de Hong Kong, du Canada. Ils ont parlé de l’importance non seulement de protéger la vie privée des enfants et des jeunes, mais aussi de tendre la main aux jeunes et de leur donner les moyens de prendre des décisions judicieuses quand il s’agit de leurs renseignements personnels.

En vous fondant sur vos dizaines d’années d’expérience, aussi bien en classe qu’auprès des enseignants, quelles sont les mesures que les organismes de réglementation, les écoles et les associations comme la vôtre peuvent prendre, à votre avis, pour rejoindre et autonomiser ainsi les enfants afin qu’ils puissent mieux comprendre et exercer leurs droits en matière de protection de la vie privée numérique

AC :

Je pense que l’éducation est primordiale dans tous les domaines. Elle est essentielle pour échapper à une situation dans laquelle on est défavorisé, et actuellement, nous sommes très défavorisés pour ce qui est de ce que nous abandonnons et à qui nous le cédons. Nous ne dévoilons pas notre vie privée à quelqu’un de bienveillant, qui a à cœur notre intérêt supérieur, nous la dévoilons à des entrepreneurs, et c’est uniquement par l’éducation que nous pouvons promouvoir l’idée de revaloriser la protection de la vie privée. Et je pense que nous devons nous demander pourquoi un enfant de 15 ans, par exemple, valoriserait sa vie privée. Qu’est-ce qui le motiverait à le faire, quand y renoncer lui donne accès à des centaines et des centaines d’applications attrayantes et fondées sur des mécanismes de conception trompeuse qui captent son attention et le gardent rivé à l’écran? Je pense que ce sera une lutte ardue. La protection de la vie privée, ce n’est pas un sujet très intéressant, et je suis heureux de voir qu’il y a tout de même des gens qui se portent à sa défense, et je pense que cela a évolué avec le temps, avec la multiplication des préjudices. 

Pour ce qui est des enseignants et de tous les pédagogues du monde, c’est un nouveau combat à livrer. Et si ça ne se passe pas à l’école, on espère que cela se passera à la maison. Mais en raison de la rapidité des changements, il est difficile pour chacun de suivre et de comprendre la différence entre telle ou telle politique de confidentialité. Et de constater qu’on ne peut pas utiliser telle ou telle application à moins de renoncer à sa vie privée. Comme vous l’avez dit plus tôt, l’union fait la force, et si nous, en tant que pédagogues à travers le monde, donnons à nos élèves les outils nécessaires pour dire non et pour surmonter le syndrome FOMO, l’anxiété de ratage, outil psychologique puissant qu’utilisent les entreprises, cela peut avoir un impact considérable. Et nous pouvons le faire… par l’éducation. Nous pouvons le faire. Et je crois que les jeunes de la prochaine génération sont très intelligents, ils sont sensibilisés. Ils ont davantage accès à l’information que jamais auparavant et je crois vraiment qu’ils souhaitent agir de façon positive.

PK :

Voilà qui est très inspirant, un bel appel à l’action. Récemment, la province a établi de nouvelles attentes dans le curriculum en ce qui concerne la littératie numérique et la citoyenneté numérique dans les écoles de l’Ontario, en vue notamment d’enseigner aux élèves la littératie numérique et de leur inculquer les connaissances et les compétences dont ils ont besoin pour naviguer dans les environnements numériques afin de mieux protéger leurs données et leur vie privée. Pensez-vous que c’est une bonne base? Devrait-on faire autre chose? Qu’en pensez-vous? 

AC :

En fait, les enseignantes et les enseignants ont déjà tellement à faire, et je m’en voudrais de ne pas souligner que nous nous rétablissons encore de la pandémie. Je crois fermement que le temps passé en ligne pendant la pandémie a encore des effets aujourd’hui et que les enseignantes et les enseignants ont besoin de beaucoup plus de ressources que ce dont ils disposent pour mettre en œuvre ce que suggère le curriculum. Quand on parle de littératie numérique, je pense qu’on doit d’abord parler de littératie sociale. Il y a une cohorte entière d’élèves qui se resociabilisent. Ils réapprennent à se parler entre eux de façon non anonyme, autrement dit avec gentillesse. Les écoles, le personnel enseignant, les directions, tous les acteurs de l’éducation, les aides-enseignants, les travailleurs auprès des enfants et des jeunes, les travailleurs sociaux, tous ont constaté pendant la pandémie à quel point le monde en ligne peut être sinistre. 

Donc on peut changer le curriculum et y intégrer des attentes et espérer que le personnel enseignant, qui a déjà beaucoup de pain sur la planche pour redonner aux élèves un sentiment d’appartenance et de compassion et de pardon, mais sans comprendre ce que veut dire être un citoyen bienveillant et prudent, un citoyen qui se sent responsable envers les autres, toutes les autres initiatives, malheureusement, n’ont pas de sens. Nous devons nous attarder d’abord aux besoins humains fondamentaux, et ensuite, nous pourrons renforcer notre position concernant la littératie numérique, parce que nous savons que ceux qui conçoivent ces applications exploitent les personnes les plus défavorisées.

Nous devons donc d’abord les épauler. Nous devons leur fournir des programmes qui favorisent leur croissance émotionnelle, leur compréhension sociale, ces choses fondamentales. Tout ça pour dire, Patricia, que je suis heureux chaque fois qu’on soumet à une réflexion critique nos programmes de littératie pour le monde numérique. C’est bien, mais en fait, il reste à éliminer le déficit social qui s’est creusé avant de pouvoir réellement accorder notre attention à ce qui se passe en ligne.

PK :

Je pense que vous venez de me faire prendre conscience, à moi et probablement à de nombreux auditeurs, de cette réalité, mais vous, dans le cadre de vos fonctions, vous voyez les effets durables de la pandémie sur cette cohorte d’enfants qui ont dû rester à la maison pendant quelques années, à un moment crucial de leur vie, où socialiser, comme vous le dites si bien, fait partie intégrante de leur développement, et il y a du rattrapage à faire. Alors, merci pour cette perspective. Mais si cela peut aider les enseignantes et enseignants qui ont à jongler avec toutes ces priorités, nous avons dans notre site Web des plans de leçons prêts à utiliser en classe, pour des élèves de divers âges et de différentes années d’études, sur la façon d’intégrer des notions sur la protection de la vie privée en classe. Nous y soulignons l’importance de l’empathie et amenons les enfants à bien comprendre les effets qu’ils ont sur les autres, sur leurs amis, lorsqu’ils disent et font quelque chose en ligne.

Les enfants ont besoin de beaucoup de compétences globales et, je l’espère du moins, les plans de leçons que nous avons élaborés avec HabiloMédias peuvent aider le personnel enseignant à accomplir certaines tâches difficiles qui les attendent dans ce contexte. Alors merci. Comme vous le savez, mon bureau a lancé récemment la Charte de la protection de la vie privée numérique pour les écoles ontariennes. Elle établit 12 engagements que les écoles et les conseils scolaires peuvent prendre pour donner aux élèves les moyens d’exercer leurs droits en matière de protection de la vie privée et d’accès à l’information, comme nous en avons parlé. Et nous espérons vraiment que les écoles et les conseils scolaires de l’Ontario souscriront à cette charte. Quelques-uns l’ont fait déjà et nous en sommes très heureux. À votre avis, les écoles et les conseils scolaires peuvent-ils faire preuve de leadership en souscrivant de façon proactive à une telle charte?

AC :

Tout à fait. Je pense que chaque fois que l’on demande à la direction d’une organisation de s’engager, c’est une occasion en or pour elle de montrer ses priorités. Quand on plante une graine, on ignore combien de branches vont pousser. Et si la direction de chaque institution publique consulte la charte de la protection de la vie privée numérique et s’en fait le champion, cela peut donner lieu à tellement d’autres choses. Les programmes et le perfectionnement professionnel, les politiques, voire ce dont on a parlé précédemment, un regard sur le processus d’approvisionnement, tout ça demande beaucoup de coordination. Je pense que personne ne comprend entièrement comment tout ça est intégré, cette idée de protection de la vie privée et de l’utilisation de la technologie, comment c’est intégré dans à peu près tous les services des institutions publiques. Donc, cela nous donne un cadre quand on sait qu’il y a un problème, mais qu’on ignore comment le régler et par où commencer.

C’est une ressource à laquelle, je l’espère, les chefs de file voudront souscrire. Mais une chose me préoccupe. Cette charte est un point de départ extraordinaire. C’est un cadre formidable. Je crains que des organisations ne l’adoptent que pour la forme. Et ce que nous recherchons, ce sont des champions, qui ne laisseront pas leur organisation se contenter de brasser de l’air. Ils vont se demander ce qu’ils peuvent faire avec ça. Ils verront cette ressource donner lieu à d’autres initiatives. J’aimerais donc qu’une fois ces engagements pris, on mette au défi les organisations du secteur, pas nécessairement de façon réglementée ou obligatoire, de nous montrer qui est leur champion, de les réunir afin de lancer un mouvement pour changer les choses dans le réseau des écoles publiques.

PK :

Vous avez dit que la charte est un cadre, et c’est bien le cas, mais bon nombre des engagements qu’elle contient sont actuellement intégrés dans des lois ou sur le point de l’être. Le projet de loi 194 avance dans le processus législatif, il imposera de nombreuses exigences quant à l’utilisation des technologies numériques dans les écoles, visant particulièrement les personnes de moins de 18 ans. Donc, ça s’en vient. Que pensez-vous de la proposition du projet de loi de réglementer les technologies numériques qui visent les enfants dans les écoles?

AC :

Je suis tout à fait d’accord avec ça. C’est mon opinion, pas nécessairement celle de mon organisation. Cependant, nous n’avons pas tellement confiance dans les entreprises ou fournisseurs externes qui nous proposent des services. Et je mets le mot « services » entre guillemets, compte tenu de la « ludification » et d’autres mécanismes de conception trompeuse. Je crois que le projet de loi procède d’une très bonne intention parce que sans ce genre d’autorité ou de soutien, je pense que nous sommes vulnérables et les enfants aussi. Je ne veux pas toujours répéter « ah, les enfants; quelqu’un doit penser aux enfants ». Non. Nous devons penser aux enfants parce que, s’ils sont pris pour cibles par toutes ces choses, que pouvons-nous faire? 

PK :

En fait, vous le savez, puisque vous êtes membre de notre Conseil consultatif de la jeunesse. Les enfants et les jeunes dans un monde numérique sont une de nos priorités stratégiques et notre but est de défendre les droits d’accès et de protection de la vie privée des enfants et des jeunes de l’Ontario en favorisant leur littératie numérique et en élargissant leurs droits numériques tout en tenant les institutions responsables de la protection des enfants et des jeunes qu’elles servent. Selon vous, qu’est-ce que le CIPVP peut faire différemment ou mieux pour promouvoir cet objectif prioritaire?

AC :

Je pense que nous nous posons tous la même question, parce qu’à mon avis, nous devons composer avec certaines réalités et avec le pouvoir du libre marché. Je pense donc que les réunions que tient le CIPVP sont importantes. Quand je pense à un pilier sur lequel m’appuyer, il est important que l’organisme de réglementation soit ce pilier. Vous devez prendre part à cette conversation. Et qui plus est, les initiatives comme celles du CIPVP doivent donner lieu à des mesures concrètes. Je vous dirais de poursuivre votre travail. De poursuivre des projets comme ce balado. Peut-être faire de la publicité créative. Découvrons les endroits que fréquentent les enfants et les élèves, trouvons un moyen de leur faire entendre notre message.
Vous vous rappelez comment c’était dans les années 2000? Il y avait un commercial avec un hippopotame. C’était un commercial génial, et je le montre encore, et si vous ne l’avez jamais vu, allez sur YouTube voir « Le Hippo des familles », tellement élégant, et toujours opportun, mais il faut un parent ou un éducateur pour le montrer aux élèves. Et je reconnais que c’est coûteux quand on parle de marketing et de publicité, n’est-ce pas ce contre quoi vous luttez, Patricia? Vous vous érigez contre une énorme machine de marketing et si vous n’apparaissez pas à l’écran, et si quelqu’un ne voit pas le CIPVP en faisant du défilement morbide, je vous assure que nous n’aurons aucune chance de faire passer le message. 
Il y a donc une occasion à exploiter, et je pense qu’il y en a beaucoup d’autres. Et vous avez des champions. Vous en avez. Tout ce que vous avez à faire, c’est de les encourager un peu plus, ce qui signifie que vous devez doubler ou triple votre personnel, sans doute. Mais c’est impressionnant de voir tout ce que vous faites avec ce que vous avez. 

PK :
Merci bien. Il est inspirant de travailler aux côtés de champions tels que vous Anthony, ça me donne beaucoup d’espoir. Je tiens à remercier notre personnel qui, comme vous l’avez dit, fait un travail extraordinaire compte tenu des ressources dont nous disposons. Et nous avons aussi notre Conseil consultatif de la jeunesse, un groupe de jeunes qui représentent un large éventail de perspectives et d’horizons et qui nous aident à éclairer notre travail. Et ces jeunes sont extraordinaires. Ils nous aident à faire exactement ce que vous avez dit, Anthony, et nous devons en faire plus, et cela nous aide à être pertinents. Cela nous aide à rejoindre ce jeune groupe démographique d’une façon pertinente qui a du sens pour eux et qui contribuera à les soutenir dans leurs études au sujet de tout ce dont nous avons parlé : technologie, protection de la vie privée numérique et sécurité. Ainsi, nous nous en remettrons à eux de même qu’à vous et d’autres champions. Merci infiniment de vous être joint à nous, Anthony.

AC :

Merci à vous. Tout le plaisir était pour moi.

PK :

Nous avons traité de tellement de sujets dans notre entretien d’aujourd’hui : de l’intégration de la technologie et de l’éducation à l’influence croissante de l’IA en passant par le besoin urgent de favoriser la protection de la vie privée et la littératie numérique dans nos écoles. Alors que nous naviguons dans le paysage numérique en constante évolution, il est clair que la collaboration et les mesures proactives sont essentielles pour s’assurer que nos enfants ne seront pas seulement protégés, mais qu’ils auront les moyens de devenir des citoyens numériques responsables. Les auditeurs qui veulent en savoir plus sur la Charte de la protection de la vie privée numérique pour les écoles ontariennes du CIPVP trouveront un lien dans les notes de l’épisode. Nous avons également inclus des liens vers certains autres épisodes de L’info, ça compte sur des enjeux liés à la protection de la vie privée ainsi qu’à l’accès à l’information qui touchent les enfants et les jeunes. Le CIPVP a publié un livret d’activités et des plans de leçons gratuits pour enseigner la vie privée aux jeunes, et ils sont accessibles dans notre site Web à ipc.on.ca/fr. Et vous pouvez nous trouver sur Instagram à @cipvp.ontario.
Nous voici rendus à la fin d’un autre épisode fascinant. Merci de l’avoir écouté, et à la prochaine. 

Ici Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, et vous avez écouté L’info, ça compte. Si vous avez aimé ce balado, laissez-nous une note ou un commentaire. Si vous souhaitez que nous traitions d’un sujet qui concerne l’accès à l’information ou la protection de la vie privée dans un épisode futur, communiquez avec nous. Envoyez-nous un message à @cipvp_ontario ou un courriel à @email. Merci d’avoir été des nôtres, et à bientôt pour d’autres conversations sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information. S’il est question d’information, nous en parlerons.
 

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