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S2-Épisode 9 : Retour vers le futur : Utiliser la prospective stratégique dans la nouvelle ère numérique

L’info, ça compte

La prospective stratégique est une discipline utilisée par un nombre croissant d’experts et d’organisations. Il s’agit d’un moyen structuré et systématique de recueillir des informations sur les environnements opérationnels futurs afin de mieux se préparer au changement et de prendre des décisions plus judicieuses. Dans cet épisode, le commissaire Kosseim s’entretient avec Eric Ward, commissaire adjoint aux initiatives stratégiques et aux relations extérieures du CIPVP, sur la manière dont la prospective stratégique peut être utilisée pour anticiper et traiter les problèmes de données émergents en Ontario.

Remarques

Eric Ward est commissaire adjoint, initiatives stratégiques et relations extérieures au  Bureau du commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario (le CIPVP). Avant de se joindre au CIPVP, il était directeur principal à Horizons de politiques Canada, le centre d’expertise en prospective stratégique du gouvernement fédéral.

  • Le parcours vers le CIPVP et la prospective stratégique [3:34]
  • La prospective stratégique utilisée pour établir des politiques et des programmes plus solides [5:28]
  • La prospective stratégique expliquée en termes simples [6:35]
  • L’importance de la stratégie politique pour les organismes et les décideurs [8:09]
  • Les étapes du processus de prospective stratégique [10:05]
  • Un regard vers l’avenir : quelques années ou des milliers d’années plus tard [17:12]
  • Science-fiction et prévisions d’avancées technologiques [19:06]
  • Prospective stratégique du CIPVP concernant la nouvelle génération des forces de l’ordre [20:40]
  • Obtention de résultats pour une réglementation coordonnée [23:43]

Ressources :

L’Info, ça compte est un balado sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information animé par Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario. Avec des invités de tous les milieux, nous parlons des questions qui les intéressent le plus sur la protection de la vie privée et l’accès à l’information.

Si vous avez aimé cet épisode, laissez-nous une note ou un commentaire.

Vous aimeriez en apprendre plus sur un sujet lié à l’accès à l’information ou la protection de la vie privée? Vous aimeriez être invité à une émission? Envoyez-nous un gazouillis à @cipvp_ontario ou un courriel à @email.

Transcriptions

Patricia Kosseim :

Bonjour. Ici Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, et vous écoutez L’info, ça compte, un balado sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information. Avec des invités de tous les milieux, nous parlons de questions qui les intéressent sur la protection de la vie privée et l’accès à l’information.

Bonjour, chers auditeurs et merci de vous joindre à nous. Lorsque le film Retour vers le futur est sorti à la fin des années 1980, ses créateurs se sont projetés en 2015. Marty McFly et Doc Brown se sont retrouvés dans un univers cinématique axé sur l’avenir, avec des voitures et des planches volantes, et des lacets automatiques.

Nous voici donc, plusieurs décennies plus tard, et les voitures ne volent pas, mais elles peuvent certainement se déplacer sans conducteur. Et la compagnie Nike a fini par fabriquer des chaussures autolaçantes. Dans leur vision de l’avenir, les créateurs du film ont fait preuve de beaucoup d’imagination. Certaines de leurs prévisions étaient fausses, mais la plupart se sont révélées exactes.

La reconnaissance faciale, les capteurs biométriques, la réalité virtuelle et l’analytique prédictive, qui étaient l’apanage des films de science-fiction, sont maintenant une réalité pour nous en 2022. Nous vivons à une époque où la technologie évolue rapidement. Et si on ne peut pas prédire l’avenir, on peut certainement imaginer d’éventuels futurs et travailler à prévoir ce qui s’en vient et mieux nous préparer pour y faire face.

Maintenant, il semble acquis et fondé qu’un bon jugement procède de l’expérience passée. Cependant, que faire lorsque nous nous retrouvons face à une situation que nous n’avons jamais vécue, et que l’avenir ne ressemble en rien au passé ni au présent? C’est là qu’intervient la prospective stratégique.

C’est une discipline qu’utilisent de plus en plus d’experts et d’organismes pour recueillir des renseignements sur leur futur environnement opérationnel et se projeter dans l’avenir en suivant un processus fondé sur des idées éclairées pour mieux se préparer et prendre des décisions plus judicieuses. Il s’agit de prévoir plusieurs avenirs plausibles en déterminant les tendances, les risques et les enjeux émergents pour obtenir des idées utiles et mieux s’orienter vers le scénario le plus souhaitable au moyen de la planification stratégique et de l’élaboration de politiques.

Dans l’épisode d’aujourd’hui, nous parlerons de cette approche axée sur le futur, en particulier du point de vue des lois, des politiques et de la protection des données. Comment la prospective stratégique peut-elle nous aider à prévoir les changements fondamentaux que subiront les technologies de l’information, quels effets ils auront sur la protection de nos renseignements personnels et comment ils transformeront notre société telle que nous la connaissons aujourd’hui?

Mon invité d’aujourd’hui est Eric Ward. Il est commissaire adjoint, initiatives stratégiques et relations extérieures, à mon bureau. Avant de se joindre au CIPVP, Eric était directeur principal à Horizons de politiques Canada, le centre d’expertise en prospective stratégique du gouvernement fédéral. Cet organisme utilise la prospective stratégique pour aider les ministères et les organismes à établir des politiques et des programmes plus solides, mieux éclairés et plus viables pour faire face à un avenir incertain, y compris dans le secteur des technologies en émergence. L’étendue des connaissances, de l’expérience et des compétences d’Eric dans ce secteur est un atout important pour notre équipe, ici au CIPVP. Soyez le bienvenu Eric.

Eric Ward :

Merci beaucoup, Patricia. C’est un vrai plaisir de participer à votre balado.

PK :

Vous vous êtes joint au CIPVP à titre de commissaire adjoint en août 2021. Pouvez-vous nous dire ce qui vous intéressait au sujet du CIPVP et ce qui vous a mené à ce travail?

EW :

En fait, venir au CIPVP était une sorte de « retour vers le futur » pour moi. C’est un secteur dans lequel j’avais déjà travaillé, les lois sur la protection de la vie privée et l’accès à l’information, au gouvernement fédéral. Je vous dirais que c’est une passion professionnelle.

Quand je travaillais au ministère de la Justice Canada, j’ai vraiment aimé la combinaison fantastique de la politique du droit réglementaire, mais aussi la portée et les idées nouvelles et stimulantes que l’on trouve dans le secteur de la protection de la vie privée et de l’accès à l’information quand on s’y consacre entièrement. Je pense qu’on peut dire que j’y suis un peu accro. Je peux difficilement m’en éloigner, et j’ai fait d’autres choses dans ma carrière, mais je reviens toujours à ces mêmes questions primordiales.

Cependant, dans le fond, ce que je trouve vraiment stimulant, c’est que ce secteur soulève des questions qui sont au cœur de la gouvernance démocratique au XXIe siècle. C’est un peu ce qui arrive dans notre monde axé sur l’information, c’est en partie ce à quoi ressemblera la vie dans notre société. C’est un peu notre façon de vivre notre liberté d’expérimenter, de savoir si nous pouvons nous épanouir et avoir notre mot à dire dans ce monde fondé sur l’information. Et c’est un domaine qui change continuellement et j’aime le changement. Je pense donc que c’est pour cette raison que j’y suis revenu.

Mais pourquoi le CIPVP? Je pense que je me sens heureux et privilégié d’être ici. Ce sont aussi les gens. On veut travailler avec des gens que l’on aime, qui sont réellement engagés, qui peuvent nous enseigner des choses, qui se soucient de leurs collègues, ou qui se consacrent sans compter à la mission. Et le CIPVP c’est tout ça.

PK :

Je pense que je viens de trouver quelqu’un qui est aussi passionné que moi au sujet de ces enjeux et c’est formidable.

Avant de vous joindre au CIPVP, vous étiez directeur principal à Horizons de politiques Canada. Pouvez-vous nous dire plus en détail en quoi consistait votre travail au sein de cet organisme?

EW :

Sa mission consiste essentiellement à utiliser la prospective pour permettre l’élaboration de politiques et de programmes plus solides compte tenu de l’incertitude concernant l’avenir. Et qui peut nier l’existence de cette incertitude, l’existence des perturbations après plus de deux ans de changements, de surprises, attribuables à la pandémie, et les difficultés auxquelles nous avons dû faire face, la résilience dont nous avons dû faire preuve pour nous adapter aux changements. Je pense que la raison d’être de la prospective a été démontrée au cours des dernières années.

Nous avons fait aussi de la prospective économique qui a abouti à une analyse solide de l’avenir de la valeur économique. Quelques travaux innovants sur la prospective sociale, sur l’avenir de la cohésion sociale dans la société canadienne, ce qui est vraiment précieux pour le travail de transparence et de protection de la vie privée. Et un projet de calibre mondial sur la convergence bionumérique. Ce qui arrive quand la biologie et la numérisation se confrontent. Ça peut sembler un peu abstrait, mais les décideurs peuvent utiliser les résultats de cette introspection pour rendre leurs politiques plus résilientes et robustes face aux changements et aux perturbations.

PK :

Donc, si vous deviez expliquer ce qu’est la prospective stratégique à un profane, à votre voisin, mon voisin, quelqu’un dans la rue, que diriez-vous?

EW :

Bonne question. La prospective peut sembler un peu ésotérique, et parfois elle l’est. Dans les faits, elle sert à résoudre un problème réel, inévitable, pratico-pratique. On fait de la prospective tous les jours. En fait, on reçoit des histoires sur l’avenir chaque jour aux nouvelles, dans les offres d’emploi, dans les livres comptables, dans les ouvrages de fiction, et même dans nos conversations.

Donc, nous pensons toujours à l’avenir, même si nous le faisons différemment, en étant plus ou moins conscients de le faire. Et le travail de prospective peut être réellement pratique ou utile. Par exemple, les compagnies d’assurance veulent vraiment comprendre l’éventail des possibilités climatiques futures pour pouvoir évaluer les risques et les besoins d’adaptation de certains projets d’infrastructure ou d’habitation qu’elles pourraient assurer. C’est une espèce de modélisation de l’avenir, mais c’est logique, non?

Alors, qu’est-ce que la prospective stratégique? J’aime bien la définition qu’en donne Kristel Van der Elst, avec qui j’ai travaillé à Horizons et qui vient du Forum économique mondial, où elle a travaillé sur la prospective. Pour elle, c’est très simple. C’est ce qui peut arriver et ce qui pourrait être nécessaire pour y faire face dans l’avenir.

Donc, l’accent est réellement sur le genre de monde dans lequel nous pourrions vivre et ce que nous pouvons faire ensemble pour y faire face, et ce que nous pouvons faire maintenant en prévision de cette incertitude.

PK :

Et en quoi, selon vous, est-ce important pour les organismes et les décideurs?

EW :

C’est donc une question très pratique, concrète et responsable, pour n’importe quelle personne d’un organisme, et particulièrement d’une institution publique dont la mission doit se poursuivre dans l’avenir.

Supposons que nous voulons être un organe de réglementation moderne et efficace pour réaliser nos objectifs et nos mandats. Nous allons nous soucier des issues dans le monde réel, non? Si vous êtes un organisme de réglementation de la sécurité des transports, vous ne vous contentez pas de veiller à ce que tout le monde suive les règles que vous avez établies. En fait, vous voulez qu’il y ait moins d’avions qui s’écrasent, non?

Je pense donc que nous parlons du même genre de dynamique. Pour un organisme de protection des données comme le nôtre, nous voulons collaborer avec les secteurs réglementés, les ministères et les hôpitaux, les services de police, les municipalités, pour qu’il y ait moins d’atteintes à la vie privée des gens, pour que les renseignements personnels des gens soient protégés et que leur vie privée soit respectée, pour que les citoyens puissent obtenir l’information dont ils ont besoin pour comprendre ce que fait le gouvernement et pour s’engager démocratiquement.

Donc, si c’est ce que nous voulons faire, nous devons faire des choix. Nos ressources ne sont pas infinies. Nous n’avons pas une attention infinie. Comment allons-nous procéder? Sur quoi allons-nous nous concentrer? À qui devrions-nous donner des conseils? Quand devrions-nous tirer la sonnette d’alarme? Quand est-ce que ça va bien et quand pouvons-nous nous détendre? Où allons-nous acquérir notre expertise interne pour comprendre ce qui se passe dans le contexte d’une plainte ou de quelque chose de plus vaste?

C’est ce genre de questions que nous et d’autres organismes nous posons concernant leur stratégie quotidienne et leurs plans d’avenir. C’est le genre de questions qu’on se pose : qui, quoi et pourquoi? Mais surtout, quand? Et cela nous mène à la nécessité ou à la valeur de la prospective et nous amène à penser au genre de stratégie qui fonctionnera, sur quoi nous devons porter notre attention.

PK :

C’est intéressant parce que j’ai déjà participé à un exercice de prospective d’une journée qui consistait à examiner l’avenir des villes intelligentes. Et je me souviens qu’au début de la journée, j’ignorais totalement comment il serait possible d’imaginer à quoi ressemblerait une ville intelligente, disons cinq ans plus tard. Pourtant, grâce à un processus dirigé par un spécialiste, à la fin de la journée, en fait, nous avions une bien meilleure idée conceptuelle de ce à quoi pourrait ressembler un avenir plausible et comment s’y préparer.

J’aimerais que vous nous expliquiez ce processus. Comment le spécialiste nous a-t-il guidés pendant cette réflexion? Quelles sont les étapes d’un exercice de prospective stratégique comme celui-là, qui nous a permis d’imaginer un scénario futur plausible?

EW :

Il y a plusieurs façons d’aborder cette question, et il y a de nombreuses méthodes que j’admire. Je pense que pour le CIPVP, une bonne façon serait d’adopter une approche systématique. En commençant par écouter. L’écoute sensible est primordiale. Vous pouvez faire des entrevues et poser des questions qui permettront d’obtenir des gens leurs perceptions de l’avenir. Et c’est amusant de voir les intuitions des gens au sujet de l’avenir, l’avenir qu’ils souhaitent voir, les avenirs qui les inquiètent, ce qu’ils voient émerger. Et il y a différentes façons de poser cette question et d’écouter, puis de traiter l’information reçue en réponse.

Une chose à faire dès le début, c’est d’écrire le plus d’hypothèses possible. Ce peut être des hypothèses très, très simples sur ce que cette affaire concerne ou comment elle fonctionne. Et elles peuvent être précises et parler des activités quotidiennes. Après cette étape, vous essayez alors de trouver des sources et des signes de changement. Ce travail nécessite une exploration étendue et il se fait généralement en groupes ou est partagé entre des partenaires. Il s’agit de trouver le genre de signal de changement qui est à peine perceptible pour l’instant, mais qui pourrait devenir plus fort dans l’avenir et avoir un effet sur votre stratégie ou sur ce à quoi le monde ressemblera dans la période visée.

Une chose très intéressante à faire, particulièrement si vous collaborez à la prospective avec des partenaires, ce que je recommande fortement, c’est de faire un peu de mappage de domaine ou de système. Ça consiste simplement à regrouper nos modèles mentaux, les personnes qui vont travailler ensemble, et essayer d’explorer et de comprendre l’avenir ensemble, et peut-être les rapprocher pour éviter de se parler seulement de changement de façon imprécise.

L’élément central de la prospective, je dirais de cette méthode, consiste à essayer de comprendre les changements possibles. Vous regroupez alors quelques moteurs clés de changement que vous avez tirés de votre travail d’exploration, des choses qui, selon vous, seront d’importants moteurs de changement pendant la période visée.

Ce qui est amusant à faire en groupes c’est de prendre un moteur de changement très puissant, souvent technologique, mais pas toujours, puis d’en établir les conséquences. Supposons que des progrès majeurs sont réalisés dans la capacité de lire l’activité cérébrale de façon non invasive, qu’est-ce qui pourrait arriver ensuite, et qu’est-ce qui arrive après ça, et après ça?

Et vous pouvez examiner juste les conséquences simples, logiques ou une cascade de conséquences. Vous constatez alors que si vous en trouvez trois ou quatre, vous vous trouvez dans un espace que vous n’avez jamais examiné avant, mais vous découvrez une logique à sa pertinence. Et quand vous les examinez de nouveau, trois ou quatre fois, vous vous dites : « Je n’aurais jamais pensé avoir à me soucier de ça. Pourtant, ça pourrait être une conséquence plausible de ce moteur de changement. »

Le véritable plaisir de la prospective, c’est quand des gens qui veulent s’embarquer là-dedans et développer une expertise s’attacheront à un changement transversal. Disons qu’une chose se produit dans la numérisation vidéo. Et ce genre de chose se produit maintenant dans un autre secteur, peut-être du côté des villes intelligentes, ou peut-être dans la reconnaissance émotionnelle, ou encore dans la compréhension génétique des phénotypes, ce qui est à l’origine de notre apparence, du fonctionnement de notre corps. Puis, on regroupe tout ça. C’est ce qu’on appelle l’impact transversal, parce que nous ne vivons pas dans un monde où un changement se produit, puis un autre changement a lieu après que le premier est passé.

La raison pour laquelle notre monde est complexe et difficile à prévoir, c’est que ces changements interviennent en même temps. La prospective nécessite une certaine discipline et il faut se soucier du processus pour faire le suivi de ce genre de complexité et aboutir à quelque chose de logique et de pertinent pour les politiques. C’est là que les outils et la pratique interviennent pour vous permettre de saisir tout ça.

Après avoir exploré les changements, ou même avant, il y a techniques de visualisation qu’il faut utiliser à mon avis. Il faut prendre du recul et se demander : « Wow! Avant de nous enfermer dans cet avenir qui nous attend, est-ce qu’on peut se demander quel avenir nous voulons? Est-ce que nous avons pensé à quel avenir sera possible? Est-ce qu’on peut préciser quel avenir serait bon dans ce secteur? » C’est utile de penser à ces choses en arrivant au stade du scénario.

Il y a de nombreuses façons d’élaborer des scénarios, mais toutes vous donnent une image, comme un film, de ce à quoi pourraient ressembler différents mondes de l’avenir. Et ceux-ci devraient être plausibles, mais ils devraient être assez différents pour que vous puissiez voir en quoi le même genre de politiques peut être efficace ou inefficace, ou encore ce que ces politiques pourraient donner dans d’autres mondes.

Et après, il est temps de récolter les résultats. Pour ce faire, on examine ce qui fonctionne, à quoi ressemble le monde dans différents scénarios, et on revient en arrière pour vérifier les hypothèses. Quel genre d’hypothèses de planification sont invalidées dans certains de ces mondes? Quelles stratégies deviennent vulnérables? Y a-t-il des choses vraiment intelligentes que nous pouvons faire maintenant et qui sont propices à chacun de ces mondes? Y a-t-il d’autres lieux où nous devons répartir les risques? Y a-t-il des endroits auxquels nous devons prêter attention pour que, si quelque chose arrive, nous commencions à comprendre que si cela se produit à l’avenir, nous ne paniquerons pas, parce que nous avons déjà commencé à y penser?

Ce sont là quelques moyens de récolter les résultats. Vous avez les défis et les occasions, et vous avez la chance de travailler avec les parties prenantes et vos groupes pour élaborer une stratégie coordonnée et la faire connaître, et déterminer les prochaines étapes concrètes à franchir. Même si vous ne partagez pas tous la même vision de l’avenir, nos partenaires et organismes comprendront mieux ce que nous faisons en raison des avenirs plausibles que nous entrevoyons.

PK :

Donc, dans un exercice de prospective stratégique, combien d’années futures examinez-vous pour planifier l’avenir?

EW :

Ça dépend du contexte et du délai de votre projet, politique ou loi. Prenons un exemple. Il y a des gens, des gens vraiment intéressants que j’admire, qui se penchent sur la difficulté de communiquer le danger des déchets radioactifs aux générations futures. Donc, c’est leur projet, leur politique, leur loi. Comment s’y prennent-ils? Ils n’ont pas d’autre choix que de penser à des milliers d’années plus tard. C’est leur échéancier. Il n’y a pas d’autres moyens raisonnables de s’attaquer à ce problème. Cela crée donc des problèmes très difficiles, mais intéressants.

Maintenant, par chance, pour mon travail au CIPVP, personne ne m’a demandé de prédire comment la protection de la vie privée se fera dans mille ans, mais c’est un secteur en constante évolution, mais, comme vous l’avez dit, certaines des choses que nous faisons pourraient avoir un effet d’entraînement dans 25 ans.

Et, en plus de choses comme la loi, l’Ontario est dans une situation réellement intéressante, car, comme collectivité, nous avons l’ambition de devenir un chef de file numérique. C’est donc dire qu’il y a de grands projets, que j’appelle les projets d’infrastructure numérique, qui touche la façon dont le gouvernement va offrir ses services, si et comment il va offrir différents moyens d’identification pour les Ontariens lorsqu’ils interagissent avec le gouvernement, ou ce genre de chose.

Ces choses sont fondamentales. C’est comme bâtir les fondations d’une maison. Si vous voulez que tout ce que vous bâtissez par-dessus dure des dizaines d’années, il faut envisager un horizon de 10, 20 ou 25 ans pour certains des grands éléments de prospective au sujet desquels un organisme de protection des données doit se préoccuper.

PK :

Nous avons tous vu ces vieux films de science-fiction, ou nous en avons entendu parler, qui, en rétrospective, semblent prémonitoires. Je pense ici à Rapport minoritaire, Minority Report. Si les organismes de réglementation de la protection des données avaient fait un exercice de prospective stratégique dans les années 1980, comme celui que vous venez de décrire, pensez-vous qu’ils auraient pu prédire les progrès technologiques que nous voyons aujourd’hui?

EW :

Prédire, peut-être pas, mais anticiper certains des thèmes importants, absolument. Si vous regardez le film Minority Report de 2002, c’était il y a 20-21 ans. On voit dans ce film une sensibilité réellement intéressante par rapport aux problèmes que pourraient soulever le maintien de l’ordre ou les systèmes prévisionnels. Est-ce que les choses sont pareilles 20 ans plus tard? Non. Mais la façon dont ils ont exploré les thèmes et y ont pensé il y a une vingtaine d’années, je pense que ça relevait de la prémonition. Mais ce qui procède réellement de la prémonition, c’est que ce film était fondé sur une histoire que Philip K. Dick a publiée en 1956.

Je pense donc que la science-fiction et la prospective, et en quelque sorte la littérature futuriste, sont des sources vraiment riches pour la préparation, un peu pour s’immuniser contre les chocs de l’avenir. Et c’est pour cette raison que j’aime vraiment certains des ouvrages de science-fiction sociale, ceux d’Ursula K. Le Guin, par exemple, ou La Main gauche de la nuit en 1969. Elle prédisait une vision plus fluide sur le sexe et le genre. Ann Leckie plus récemment. Des livres comme La Justice de l’ancillaire, qui porte sur l’effet de l’intelligence artificielle sur nos relations personnelles. Je ne gâcherai pas votre plaisir, mais je peux vous dire que c’est un livre fantastique.

PK :

Au CIPVP, nous amorcerons un exercice de prospective stratégique pour voir à quoi pourrait ressembler l’avenir du maintien de l’ordre et nous aider à prévoir et à élaborer des solutions à des problèmes inédits d’accès et de protection de la vie privée. Comme vous le savez, tout ça est associé à notre priorité stratégique touchant la nouvelle génération des forces de l’ordre.

Alors, Eric, comme vous serez au cœur de cette initiative en tant que chef de file, quelles parties prenantes prévoyez-vous faire participer à cet exercice de prospective?

EW :

À tout le moins, nous souhaitons que les organismes de maintien de l’ordre interagissent avec nous et soient des partenaires. Nous pourrions tenir des entrevues avec des corps policiers, mais aussi avec des organes de réglementation. Nous souhaitons vraiment entamer un dialogue avec quelques-uns des ministères qui ont des responsabilités stratégiques pour savoir comment ils font ça, qui a son mot à dire sur les procédures du système de justice et sur le maintien de l’ordre.

Le travail de prospective dans ce secteur ne peut pas se faire sans un engagement vraiment significatif, approprié et respectueux avec nos partenaires autochtones qui travaillent dans ce secteur, ainsi qu’avec les gardiens du savoir traditionnel. Il faut collaborer avec des communautés qui sont touchées différemment par les forces de l’ordre. Donc, les Ontariennes et Ontariens noirs et racialisés, les personnes de diverses identités de genre, les personnes marginalisées par la pauvreté qui ont des interactions différentes et spécifiques avec les forces de l’ordre, les défenseurs des personnes qui reçoivent ou demandent des services de santé mentale. Aussi, les organismes de défense des droits des victimes.

La prospective est plus efficace si elle permet d’obtenir et de saisir le plus de points de vue différents possible sur le système dans lequel nous interagissons les uns avec les autres. Et, bien sûr, le CIPVP met sur pied une table de consultation de la jeunesse, et nous voudrons interagir avec ces jeunes participants, sans oublier notre table de consultation sur le maintien de l’ordre.

Nous avons donc déjà créé un bon potentiel de prospective au CIPVP. J’ai communiqué avec d’autres organismes de protection des données, certains commissaires du Canada, mais aussi de l’extérieur du Canada, qui s’intéressent à la prospective. Ils seraient d’excellents partenaires dans les ateliers et pour les entrevues, parce qu’une partie importante de l’avenir du maintien de l’ordre ne se limite pas à l’Ontario ni au Canada.

Enfin, j’aimerais beaucoup interagir avec les élèves, les étudiantes et étudiants et les professeurs de l’Ontario. L’Ontario a des programmes qui sont tout simplement fantastiques et un bassin de talents phénoménal. Il y a des gens qui enseignent, qui étudient et qui travaillent dans ce domaine et qui, je pense, auraient beaucoup à contribuer. Et regrouper ces talents des milieux de l’éducation et du travail serait un des services que le CIPVP pourrait rendre dans ce débat.

PK :

Le but ultime de notre priorité stratégique concernant de la nouvelle génération des forces de l’ordre est de susciter la confiance du public dans les forces de l’ordre et de créer les mécanismes de protection nécessaires pour l’adoption de nouveaux programmes et de nouvelles technologies. Pensez-vous que cette série de prospective va nous y amener, nous aider à atteindre notre but ultime?

EW :

Je pense que oui. Et bien qu’il faille ratisser large et avoir l’esprit ouvert pour explorer ce que l’avenir nous réserve, nous trouvons un moyen réellement pratique d’y parvenir et d’obtenir des résultats qui conviennent au rôle d’un organisme de réglementation.

J’ignore si vous avez déjà été entraîneuse d’une équipe de soccer d’enfants de 5 ou 6 ans, ou si vous avez déjà assisté à une partie de soccer d’enfants de cet âge, mais il y a un stade du développement humain où tout ce qu’on peut faire, c’est de courir après un ballon. Et tous se regroupent et courent après le ballon, qui est rendu ailleurs lorsqu’ils y arrivent. Et c’est juste une foule non coordonnée. Pour moi, c’est un genre de métaphore qui montre comment nous ne voulons pas, en tant que système, en tant qu’institution, courir sans cesse après le ballon, et l’atteindre trop tard. Il est ailleurs. Il n’y a aucune coordination. C’est un foutoir. Nous ne comprenons pas ce que nous faisons.

Nous voulons plutôt jouer nos rôles, organisme de réglementation, parties prenantes réglementées, universitaires, dans une conversation sur la destination du ballon, sur la façon dont nous jouons ces rôles comme il faut compte tenu de l’incertitude quant à l’évolution éventuelle des choses. Nous pouvons ainsi nous déployer, couvrir plus de terrain et interagir d’une manière qui, selon moi, sera beaucoup plus productive.

Une des choses intéressantes quand on fait de la prospective est de découvrir combien il est facile de devenir dystopique. Et il y a de la place pour ça, parce qu’en pensant aux dangers et en les évitant, on utilise vraiment à bon escient sa capacité d’imaginer l’avenir. Mais il est également important d’être ouvert à la possibilité de choses positives qui étaient peut-être inimaginables auparavant, mais qui peuvent devenir possibles.

Donc, par exemple, peut-on obtenir certains des avantages de la protection des personnes ou de l’environnement au moyen de détecteurs peu coûteux et décentralisés, comme dans certaines versions des villes intelligentes, mais sans cette espèce de surveillance arbitraire? Peut-on obtenir certains avantages d’un milieu numérique d’une manière qui est légitime et démocratique, qui est aménagé à l’issue d’un genre d’engagement qui donne aux gens le pouvoir d’interagir avec leur environnement au lieu de se retrouver dans un monde qu’ils ne comprennent pas et que d’autres contrôlent?

Ce genre de projet, c’est de l’or que vous pouvez trouver dans une étude prospective. Et n’importe qui peut avoir ces idées. Ce ne seront pas toujours des experts. Ce ne sera pas toujours la personne dont le travail consiste à avoir cette idée. Et c’est une des choses amusantes dans la prospective.

PK :

En fait, je n’ai jamais été l’entraîneuse d’une équipe de soccer, mais j’ai été une maman spectatrice. Et je sais exactement ce que vous voulez dire. Je peux visualiser ces enfants de cinq et six ans qui courent après le ballon. J’aime bien cette métaphore. Merci, Eric. Et merci de vous être joint à moi à l’émission d’aujourd’hui. Ça a été formidable de passer une partie de notre journée à parler de notre aventure dans ce territoire inexploré. Vous avez présenté des renseignements pertinents et intéressants sur la façon dont les organismes peuvent utiliser la prospective stratégique pour se préparer à ce que nous réserve l’avenir, afin que nous puissions commencer à élaborer des lois et des politiques qui sont plus susceptibles de protéger les droits en matière de protection de la vie privée et d’accès à l’information dans différents scénarios plausibles.

J’invite les auditeurs qui souhaitent en apprendre davantage sur le travail de notre bureau dans le secteur de la nouvelle génération des forces de l’ordre et sur nos projets concernant cette nouvelle initiative passionnante de prospective stratégique à visiter notre site Web à cipvp.ca. Vous pouvez aussi regarder notre webémission de l’an dernier sur l’utilisation des technologies de surveillance par les forces de l’ordre. Elle est encore disponible sur la chaîne YouTube du CIPVP. Notre site Web est également une source importante de renseignements généraux sur les droits en matière de protection de la vie privée et d’accès à l’information, et vous pouvez également téléphoner ou envoyer un courriel à notre bureau en tout temps si vous avez besoin d’aide. Merci d’avoir été des nôtres pour cet épisode de L’info, ça compte. À la prochaine.

Ici Patricia Kosseim, commissaire à l’information et à la protection de la vie privée de l’Ontario, et vous avez écouté L’info, ça compte. Si vous avez aimé ce balado, laissez-nous une note ou un commentaire. Si vous souhaitez que nous traitions d’un sujet qui concerne l’accès à l’information ou la protection de la vie privée dans un épisode futur, communiquez avec nous. Envoyez-nous un gazouillis à @cipvp_ontario ou un courriel à @email. Merci d’avoir été des nôtres, et à bientôt pour d’autres conversations sur les gens, la protection de la vie privée et l’accès à l’information. S’il est question d’information, nous en parlerons!

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